Cinéma 

 

KEEP THE LIGHTS ON de IRA SACHS
Projection-débat mardi 2 octobre 2012, à 20h15
aux 400 Coups, 12, rue Claveau, Angers

invitée Christophe Martet, directeur de Yagg.com

Projection suivie d'une rencontre avec Christophe Martet, journaliste, militant dans la lutte contre le VIH et patron de Yagg.com, qui échangera avec les spectateurs présents sur le thème : Les amours gaies - modes de vie et évolutions sociales.

Film de Ira Sachs, avec Thure Lindhardt, Zachary Booth, Julianne Nicholson...
USA - 22011 - 1h41 - version originale sous-titrée - Interdit aux moins de 12 ans.

Erik est réalisateur de documentaire. Paul est avocat. Tous deux sont homosexuels, l'un assumant, l'autre pas. Ils se rencontrent un soir pour une aventure sans lendemain mais, très vite, décident de se revoir. A mesure que se développe leur relation, chacun, de son côté, continue de combattre ses propres pulsions et addictions.

La chronique d’une longue et violente rupture amoureuse, entre souvenirs autobiographiques du cinéaste et souffle romanesque. L’un des plus beaux films indépendants américains de l’année.

Qu’est-ce qui fait qu’une photographie est réussie ?
Dans son précieux essai L’Image fantôme (1981), Hervé Guibert, qui revendiquait tel un mantra son amateurisme en matière de technique, écrivait qu’une bonne photographie est nécessairement “fidèle au souvenir de l’émotion” éprouvée au moment précis du déclenchement de l’appareil, et qu’elle ouvre un accès à “l’intériorité de l’auteur”, perceptible par l’œil étranger.
La formule pourrait aussi bien s’appliquer au cinéma autobiographique de l’Américain Ira Sachs pour dire la vibration saisissante de son quatrième et plus beau film, Keep the Lights on.
Révélé dans les années 90 par un court métrage dopé aux travaux vidéo de Warhol (Lady), puis devenu l’une des figures clés de l’indé US (on lui doit le superbe et secret The Delta), le cinéaste revient ici sur un long chapitre de sa vie sentimentale, avec pour double projet de restituer la vérité d’un souvenir douloureux et, c’est le propre de l’écriture sur soi, tenter de s’en libérer – Ira Sachs évoque un geste “exutoire”.
Keep the Lights on découvre donc deux jeunes et beaux personnages new-yorkais au seuil de leur rencontre : Erik, un documentariste un peu caméléon, tantôt animal brusque tantôt garçon délicat (soit l’alias du réalisateur, incarné par le très fort Thure Lindhardt), et son amant Paul, un agent littéraire plus ombrageux qui défie la mort dans la consommation frénétique de crack.
C’est à l’écrivain Bill Clegg que l’on pense forcément ici, l’ancien amant d’Ira Sachs in real life, qui a témoigné de sa descente aux paradis artificiels dans le récent Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme (Éditions Jacqueline Chambon), dont Keep the Lights on est une réponse désenchantée.
Le film débute sans illusion au moment de leur premier baiser, une nuit brûlante de 1998, et s’achèvera dix ans plus tard par la rupture sans éclats du couple, vaincu par le temps, la défonce et la distance.
Entre ces deux instants, Ira Sachs aura déplié une fresque sentimentale comme le cinéma américain n’en produit – malheureusement – presque plus : un long parcours accidenté fait de séparations et de retrouvailles, de promesses et de démissions, toutes saisies dans un enchaînement de séquences autonomes formant un journal de bord aux humeurs indécises.
La folle ampleur romanesque de Keep the Lights on, qui fait courir ses deux amants entre les siècles et les catastrophes (le 11 Septembre, sans être mentionné directement, semble soudain glacer l’image 16 mm et assombrir les rues de New York), évoque par endroits celle des Bien-Aimés de Christophe Honoré (2011), où l’on s’interrogeait aussi sur l’instabilité du sentiment amoureux, et où le glissement du temps se signalait également en arrière-plan.
Mais ce qui obsède Ira Sachs, comme avant lui Honoré, ce sont surtout les fluctuations intimes qui affectent ses deux personnages, leur ordinaire dirait-on, qu’il restitue avec une rare acuité : tout, des gestes les plus simples aux bourrasques affectives, paraît extrait d’un souvenir encore vif, d’une émotion réelle qu’il s’agirait enfin d’exorciser.
Car l’autofictif Keep the Lights on n’est au fond qu’un film d’exorcisme : la chronique d’une rupture impossible et cruelle dans un New York hanté par les figures de disparus et les ombres du passé.
Elles sont nombreuses ici, du génial musicien protéiforme Arthur Russell, mort seul du sida en 1992, dont le folk endeuillé perle la bande-son, au cinéaste underground Avery Willard, décédé dans l’indifférence générale avant de voir le XXIe siècle – des extraits de ses films scandent le récit.
C’est dans cette atmosphère d’outre-tombe, au milieu de tous ces fantômes avec lesquels il faut pour Ira Sachs réapprendre à vivre, que le film s’épanouit, qu’il puise sa profonde et tenace mélancolie, jusqu’à son épilogue désarmant : une séparation amoureuse enfin consommée dans la lueur d’un petit matin, pareille à une sortie des ténèbres.
Keep the lights on : “Garde les lumières allumées”.
Romain Blondeau (Les Inrocks)





Christophe Martet
est journaliste, entrepreneur et militant dans la lutte contre le VIH. Actuel patron de Yagg.com (photo : Xavier Héraud, Judith Silberfeld, Yannick Barbe, Christophe Martet), site d'information lesbien, gay, bi et trans, qu'il lance fin 2008 avec trois anciens collègues de Têtu, Yannick Barbe, Judith Silberfeld et Xavier Héraud.
Lyonnais d'origine, Christophe Martet est diplômé du Centre d'enseignement du journalisme de Strasbourg. Journaliste reporter pour France 3, il rejoindra le service économique et social de France 2. En 1990, il part à New York où pendant un an il travaille en tant que journaliste indépendant écrivant sur l'économie américaine.
De retour à Paris, il réalise plusieurs documentaires sur l'environnement et la crise du sida: Nous sommes éternels, co-réalisé avec Vincent Martorana, ou La France défigurée 20 ans après. Il est également l'auteur d'un livre de témoignages sur les militants de la lutte conte le VIH, Les Combattants du sida, paru chez Flammarion en 1993.
En 1999, il a rejoint le magazine Têtu, où il exerce la fonction de rédacteur en chef adjoint jusqu’en juin 2007. Il est notamment responsable du guide Têtu +, un numéro spécial consacré à la lutte contre le VIH.
Au début des années 1980, il milite au sein du CUARH (Comité d'urgence anti-répression homosexuelle). Lors de son séjour à New York en 1990, il milite à Act Up-New York au sein du groupe médias et participe aux actions de prévention auprès des usagers de drogue. Il rejoint son équivalent français, Act Up-Paris en 1991. Il succède à Cleews Vellay comme président de l'association en 1994. Il le reste deux ans et demeure, jusqu'en 2007, un membre actif.