A Dakar, la chasse aux goorjigeens est ouverte
Depuis le début de l'année 2008, il ne fait pas bon être gay au Sénégal. Dans ce pays où l'homosexualité est pénalisée, il y avait cependant une relative tolérance. Mais deux événements ont sifflé l'ouverture de la chasse aux
goorjigeens (homosexuels en langue wolof) : la publication de photos d'un " mariage gay " dans le magazine people " Icône " et la tenue, le mois suivant, d'une conférence islamique internationale dans le pays. Un climat de haine s'est installé au Sénégal, entretenu par une partie de la classe politique, des religieux musulmans et chrétiens, et certains médias : agressions physiques et verbales, rejets de la famille et du monde professionnel, arrestations arbitraires et violences policières. En janvier 2009, la justice sénégalaise a condamné 9 homosexuels à 8 ans de prison.
Le traitement de ces événements dans la presse sénégalaise proche du pouvoir en place reflète (et entretient) l'homophobie dans ce pays : le grand quotidien Le Soleil confie la rédaction de ses tribunes à Abdou Latif Guèye, député et leader musulman :
" Le combat contre l'homosexualité et toutes les déviances qui déshumanisent l'individu est un combat légitime et moral, mais aussi hautement civique et patriotique …il est illusoire de construire un pays avec des désaxés, des détraqués, des déculturés et des lobbies aux desseins sordides. " ; dans le même journal, le pasteur évangéliste Waly Sarr cite abondamment la Bible pour expliquer que l'homosexualité est un péché grave qui mérite condamnation, et Mame Balla Ndiaye, responsable du Centre National des Sports, apporte son soutien à Guèye,
" qui ne saurait être taxé d'intolérant pour avoir toujours eu à cœur de s'ériger en sentinelle vigilante de nos bonnes mœurs. " Bien sûr, les quelques personnalités sénégalaises qui ont courageusement pris la défense des homosexuels n'ont pas de tribunes dans Le soleil.
Malheureusement, ils sont également peu présents dans la presse indépendante du pays. Dans Sud Quotidien, Madior Fall écrit :
" 5 ans, 8 ans de réclusion criminelle pour des actes contre-nature certes répréhensibles, il faut peut-être avouer qu'il y a quelques excès à sévir autant … "
Seul le quotidien Walfadjari a le courage de publier la contribution du sociologue Mamadou Moustapha Wone :
" L'homosexualité est bien plus un phénomène équilibrant que déséquilibrant, mais à condition de ne pas le lire avec nos prismes traditionnels sur la sexualité. Prismes moulés par de longues et profondes croyances religieuses ou fantasmagoriques. "
Un point cependant fait l'unanimité dans toute la presse sénégalaise, y compris dans Walfadjari : la réaction des autorités françaises après la condamnation des homosexuels est vue comme une ingérence inadmissible de l'ancienne puissance coloniale. Ce qui, vu du Sénégal, peut hélas se comprendre quand on connaît la politique africaine de la France et le discours méprisant de Sarkozy en 2007 à … Dakar !
¤ Bernard
Moreau
avril 2009 |