Edito

 

Des bisous qui dérangent

 

Il y a quelques semaines, on apprenait qu’un petit film d’animation en projet depuis deux ans et en cours de réalisation à Rennes se proposait d’aborder les relations amoureuses entre personnes du même sexe auprès des élèves de CM. Une souscription publique et un appel à des partenaires institutionnels permettaient sa réalisation. Ce film, ”Le Baiser de la Lune” décrit une histoire d’amour entre un poisson-chat et un poisson-lune de même sexe. Son but : “Lutter contre l’homophobie survenant à l’adolescence” en montrant qu’il existe “différentes façons de s’aimer.”
Réalisé par Sébastien Watel, il avait le soutien du Ministère de la Jeunesse et des Sports, du Conseil Régional PS de Bretagne, des Conseils Généraux des Côtes d’Armor et du Finistère, de la Ville de Rennes, de la Ligue de l’Enseignement, du CGLBT de Rennes et d’autres assos LGBT locales, de SOS Homophobie, du Centre National de la Cinématographie, de la Fondation Pierre Bergé / Yves St Laurent...
La nouvelle provoqua presqu’aussitôt une levée de boucliers homophobes. Des pétitions circulèrent : 
“ Halte aux incitations homosexuelles dans les écoles primaires ”, “ Halte à la propagande en faveur de l’homosexualité au sein de l’école ”... Ces pétitions furent adressées à des institutions partenaires pour faire pression bien sûr.
Effet immédiat : le Ministère de l’Education Nationale, par le biais de l’Inspection Académique d’Ille et Vilaine, retira son logo du projet alors que le Ministère de la Jeunesse et des Sports subissait des pressions pour agir de même.
Ces opposants traditionnels avançaient des arguments comme : “L’intégrité morale des enfants est menacée avec la complicité de la puissance publique”, au risque de les “pervertir”.
Christine Boutin a écrit à Luc Chatel, Ministre de l’Education Nationale pour en demander l’interdiction avec ses éternelles formules “ Une différence fondamentale, la différence des sexes, [...] est constitutive de notre humanité.” Le Collectif pour l’Enfant, traditionnaliste, lui a emboîté le pas.
Pour ne pas déplaire à la frange électorale la plus rétrograde de l’UMP, Luc Chatel s’est déclaré presque aussitôt hostile à sa projection, sous le motif que ce film “ n’a pas vocation à être projeté en primaire.” Dans la foulée, Nadine Morano, Secrétaire d’Etat à la Famille - réputée gay-friendly - s’y oppose aussi : “ Au CM2, on n’en est qu’à la découverte de l’anatomie. ” Glorieux prétexte...
Voix discordante au gouvernement, Martin Hirsch, Haut Commissaire à la Jeunesse, s’y est déclaré favorable, allouant même une aide de 3 000 €. D’autres soutiens ont afflué : le Planning Familial, le PS, le PC, la FSU (syndicats enseignants), les assos de Parents d’élèves... Luc Chatel a affirmé de son côté que les enseignants qui le projetteraient ne seraient pas sanctionnés.

Exactement dans le même temps, on apprenait que le Kiss’in parisien contre l’homophobie du 14 février était déplacé du parvis de Notre-Dame à la place St Michel, sur les conseils de la Préfecture de Police, devant les intimidations et les menaces des catholiques intégristes.
Le Kiss’in place St Michel a été très réussi, avec la participation de dizaines de couples, sans aucun incident. 

Quelques couples de gays et de lesbiennes sont allés ensuite s’embrasser devant Notre - Dame, provoquant des réactions très violentes des extrémistes catholiques : “Barrez-vous, on est chez nous”, saluts nazis, coups de casques de moto... Les policiers se sont interposés entre les deux groupes.
Rappelons qu’en France il n’est pas interdit de s’embrasser dans un lieu public et que le parvis de Notre-Dame est précisément un lieu public. 
Mais décidément, il y a des bisous qui dérangent...

¤ Jacques Guiton
mars 2010
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