A 37 ans, Laurent Ferron est président de l'association de gays et lesbiennes Quazar. Une association qu'il a rejoint en 94, quelques mois après sa création.
      A la veille de la première Lesbian-gay pride à Angers, entretien avec le militant, professeur d'histoire-géographie, auteur d'une thèse sur les violences sexuelles au 19ème siècle (mention très honorable avec félicitations du jury).

      AngersJournal: Comment a démarré votre engagement?
      Laurent Ferron: Tous les gays et lesbiennes ont, à un moment donné, à faire le point avec eux-mêmes et doivent se positionner par rapport à la société toute entière, à leurs proches, leurs relations de travail, leurs amis ou leur famille. En ce qui me concerne, au bout d'un certain temps, après avoir fait ce travail seul, je me suis dit qu'un engagement associatif permettrait d'aller plus loin et de rencontrer d'autres personnes.
      Il n'y a rien de plus intime que le militantisme des gays et lesbiennes. On peut manifester pour les sans-papiers ou les 35h sans qu'il y ait d'implication personnelle. Lorsqu'on est homosexuel et que l'on milite pour une reconnaissance, c'est un engagement qui implique la personne toute entière, puisqu'elle doit s'affirmer en tant que gay ou lesbienne. Affirmer son identité sexuelle.

      A.J.: C'est ce qui conduit les membres de Quazar à s'investir? Se retrouver au sein d'une communauté?
      L.F.: Certains viennent de découvrir leur homosexualité, d'autres l'ont découverte depuis longtemps, certains ont réglé la question familiale, d'autres pas, même chose pour la question professionnelle... Il y a tous les cas de figure.

      A.J.: Et Quazar permet de régler ces problèmes individuels?
      L.F.: Ça dépend de chacun. C'est la personne qui, échangeant, discutant avec les autres, va se donner ses propres outils pour conduire son évolution. Généralement, on n'est pas là pour apporter des solutions toutes faites.

      A.J.: Se retrouver au sein d'une communauté ne conduit-il pas, en marquant et affichant votre différence, à un isolement plus grand en définitive?
      L.F.: Non. C'est faux de penser qu'on vit coupé du monde. Quand je vais acheter mon pain, je rencontre a priori nettement plus d'hétérosexuels que d'homosexuels. On ne dit pas d'un club de bridge qu'il se coupe du monde. Ce n'est pas parce qu'ils se retrouvent de temps en temps qu'ils s'isolent.

      A.J.: La forme du militantisme se décline par des revendications, des luttes contre une certaine intolérance. Mais ne prenez-vous pas le risque de provoquer l'effet inverse de celui recherché, en renforçant l'intolérance?       L.F.: Les homophobes prennent toujours nos actions pour de la provocation. Le grand mot d'ordre serait de ne pas militer et de raser les murs. Les militants pensent par définition que l'on peut changer les choses. Donc nous agissons ainsi. Le Pacs a été un succès, on peut être assez fiers d'avoir fait bouger la société. Maintenant, il faut bien voir qu'en face, on ne va pas demander la bénédiction du camp adverse, qui n'a qu'une attente, c'est qu'il y ait moins de militants, moins de revendications en face.
      On a distribué des affiches pour la lesbian-gay pride, l'Université catholique a refusé de les afficher. Or il y a quelques années, on mettait Quazar Ze Niouzes (journal de l'association, Ndlr) à la Catho. Alors j'ai envie de poser une question à cette université qui est une émanation de l'église catholique: que fait-elle pour lutter contre l'homophobie? Manifestement rien, et une manif contre l'homophobie la gêne. Face à nos revendications d'égalité, s'est radicalisé un discours anti-homosexuel. C'est très clair, le Pacs a été l'occasion pour certains partis politiques d'affirmer plus clairement leur homophobie. Lorsque Christine Boutin est venue à Angers, on a bien vu toute une France conservatrice défiler, et ça allait au-delà de la caricature. Mais on les a accueillis avec des banderoles, car il y a certaines choses qu'on ne peut pas laisser passer.

      A.J.: Comment faites-vous pour les sensibiliser, sans provoquer l'effet inverse de celui escompté?
      L.F.: Ces gens sont relativement marginaux dans la société française. Un travail se fait en direction de l'opinion publique, c'est à nous d'être présents. Les enquêtes d'opinion publique montrent quand même davantage de tolérance et prouvent que plus les gens sont âgés, moins ils sont ouverts d'esprit vis-à-vis des gays et lesbiennes. Ce qui nous rassure. Et puis ces personnes se retrouveront peut-être demain avec des enfants homosexuels; leur perception, alors, évoluera.

      A.J.: Vous militez au quotidien pour une meilleure reconnaissance des homosexuels dans la société. Vous avez aussi en janvier dernier, soutenu une thèse sur les violences sexuelles au 19ème siècle. Le fruit d'un travail de huit années, qui est encore un signe d'engagement, d'investissement autour d'une question d'ordre sexuel.
      L.F.: L'histoire personnelle joue toujours un rôle dans le choix d'un sujet. Mon homosexualité m'a conduit à m'interroger très tôt sur les rapports qu'il pouvait y avoir entre sexualité et pouvoir, sexualité et loi, sexualité et église, etc...
      Ici c'est une sexualité violente, anormale que j'ai interrogée. Violence de l'homme sur la femme, et agressions sur les enfants. j'ai étudié trois incriminations: le viol, l'attentat à la pudeur avec violence et l'attentat à la pudeur sans violence.
      J'ai été extrêmement surpris de voir que dans les archives, il n'y avait quasiment pas de viol contre des femmes adultes, amenés aux assises. De plus, tous les procès qui avaient lieu étaient des agressions sur des enfants, particulièrement des petites filles de moins de onze ans. J'ai tenté de voir pourquoi ça fonctionnait de cette manière, et j'ai découvert ce qu'était la réalité de la société patriarcale française. C'est l'homme, le mari, le père qui est la clé de la société. Ce sont les enfants que l'on protège au 19ème siècle. Il y a un discours selon lequel les femmes ne peuvent pas être violées parce qu'elles doivent se défendre et qu'elles sont responsables de leur vertu. Les veuves ou célibataires ne sont pas protégées par la justice. On va toujours dire qu'elles étaient consentantes.
      Finalement, quand les féministes ont dit dans les années 70 qu'elles voulaient avoir le droit de faire du stop en mini-jupe sans se faire violer, ça nous renvoie au 19ème siècle. C'est-à-dire qu'on ne croit pas les femmes a priori, tant qu'elles ne sont pas mortes massacrées. On est assez loin de l'homosexualité ici, mais ça montre comment est organisée cette "société idéale" à laquelle on nous renvoie tout le temps.

      A.J.: Ce combat contre cette société patriarcale, machiste, se manifeste au quotidien à l'association Quazar. Quand estimez-vous qu'il pourra s'arrêter, qu'il n'aura plus de raison d'être?
      L.F.: Quand la société aura suffisamment évolué. Il n'y a plus aujourd'hui un seul modèle familial, il y en a plusieurs. L'évolution continue, et doit se poursuivre.

Angers Journal, 28.05.2000