La Gay Pride : la quête
d'une " perpétuelle indulgence "


Angers, depuis l'an passé, est l'une des treize villes françaises à voir défiler homo et hétérosexuels dans l'ambiance festive, et légèrement " provoc' " d'une Gay Pride.
Affirmer la visibilité homosexuelle et lesbienne dans une société hétéronormée " : tel est l'objectif des organisateurs de la " Gay Pride ". Pour la seconde année, à Angers samedi, l'association Quazar a réussi à faire descendre dans la rue 850 personnes à l'occasion d'un défilé haut en couleurs, et bruyant puisqu'à la musique techno se mêlait le son strident des sifflets.
Non au Pacs signé au Tribunal; oui à une visibilité sociale et familiale
Les associations militant contre l'homophobie sont venues de tout le Grand Ouest, accompagnées des représentants politiques (PS, Verts, Ligue Communiste Révolutionnaire) et de mouvements (Ligue des Droits de l'Homme, Planning Familial).
" Lubrifiez vos idées "
Qu'est-ce qui conduit des hommes et des femmes à afficher publiquement leur sexualité alors que beaucoup estiment que cela relève du domaine de la vie intime, donc privée ? Franck-Karl Bourgeais, trésorier de l'association Quazar, explique : " Dans nos permanences des mercredis et samedis à Angers, nous recevons d'une à trois personnes qui vivent mal les pressions psychologiques de leur entourage familial ou professionnel après la révélation de leur homosexualité. "
L'expression publique, empruntant parfois des slogans provocants comme " plaisir anal, plaisir banal, lubrifiez vos idées ", vite caché par " je suis votre boulangère " ou " votre plombier " convie donc la population à conjuguer la tolérance au quotidien. En valorisant l'idée que l'homosexualité est plus répandue qu'on ne le croit.
" Etre heureux, c'est s'accepter "
Au delà de l'aspect festif, la Gay Pride a un objectif revendicatif. Dans les discours des responsables qui se sont succédé, il y a d'abord le rejet de la signature du PACS (pacte civil de solidarité) au tribunal ; il y a ensuite la volonté de voir pénaliser le délit d'homophobie et le souhait de pouvoir adopter. L'adhésion d'une majorité de jeunes ou moins jeunes à la fête s'explique par l'inscription de la " démarche, comme l'a souligné Gilles Mahé, représentant de la mairie d'Angers et adjoint à l'environnement, dans la lutte contre toutes les exclusions. "
Du coup, ceux qui trouvent derrière les sourires affichés et la fête à tout va, il y a beaucoup de désespérance - " chez les jeunes homosexuels le taux de suicide est élevé " a constaté Olivier Bulard des Verts - n'osent exprimer des réserves sur les modalités de cette action publique.
" Etre heureux, c'est s'accepter " nous a dit une Sœur de la Perpétuelle Indulgence (1). Et plus que le regard des autres, c'est peut-être leur propre regard sur eux-mêmes qui manque d'indulgence.

Brigitte Chirat

(1) : Les " Sœurs de la Perpétuelle Indulgence " constituent un mouvement militant issu de la communauté homosexuelle de San Francisco.

Qu'en pensent-il ?
Ils étaient dans la manifestation, ou l'ont regardée passer. Ils se sentent en phase avec les revendications exprimées et l'expression publique de cette minorité ; ou au contraire, expriment des réserves sur le sens de cette évolution de société.

Finesse, Sœur de la Perpétuelle Indulgence
" J'ai 29 ans, et je suis assistant de direction. J'appartiens aux Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, qui est un mouvement venu de San Francisco, et empruntant l'organisation et le vocabulaire des religieux. On a des conciles ; et des couvents pour abriter et aider ceux qui ont le SIDA. C'est vrai que j'ai conclu mon discours sur une note en mi teinte : tachez d'être heureux, car beaucoup vivent mal le fait de devoir mentir pour être accepté dans un milieu familial ou professionnel. Et être heureux, c'est aussi pouvoir s'accepter. "

Laëtitia, 24 ans
" Je me sens vraiment loin des revendications exprimées. Je fais partie d'un groupe de croyants qui discutent avec les passants, le samedi, dans un bus stationné place Imbach. De plus, je vais me marier dans trois mois. Et je trouve qu'au-delà du bruit, de la couleur et de la gaieté, de la couleur et de la gaieté voulue, l'atmosphère dégagée est plutôt triste. Regardez le nombre de gens qui regardent avec surprise les slogans affichés, mais n'osent rien dire de peur d'être qualifiés d'intolérants. Cette manifestation publique de problèmes privés rend encore un peu plus flou les repères sociaux. "

Isabelle Galesne, secrétaire départementale du Parti Socialiste
" Le Parti socialiste a été présent dès la première manifestation en 1999, et pour la première Gay Pride l'an passé. Il s'agit d'un défilé pour la tolérance, et nous soutiendrons le texte en préparation pour donner des armes juridiques contre l'homophobie. Par contre, si je suis pour l'évolution de la législation permettant aux homosexuels, hommes ou femmes, d'adopter, la question fait toujours débat au sein de la section départementale du Parti. Et peut-être que le temps n'est pas encore venu pour que la société l'accepte. "

Quatre garçons et filles de 19 à 23 ans, de culture musulmane
" En les regardant défiler, les uns avec des grimages sur le visage, les autres en dansant, on a le même sentiment que devant un spectacle malsain. Cela met mal à l'aise. Il y a très peu de réservations pour le Pass dans les boîtes de nuit ce soir. On nous a dit 79. Depuis l'aube de l'humanité, qui nous a parlé d'Adam et Eve ? Cette manifestation ne nous amuse pas du tout. Elle a même quelque chose de très triste. "


Le Courrier de l'Ouest, 21.05.2001